13 octobre 2005

L'Ephemère et l'Eternel : partie 1

Pochon. Ouvrir. Prendre. Inspirer. Planer. Les pensées de Jon n'etaient pas plus compliquées que ca, et il avait déja du mal a les suivre. Entre joints, alcools, amphétamines diverses, ce peu de cocaïne ne lui ferait presque rien. Presque.

Il déambulait entre les basses, entre les restes d'humains allongés a même la pelouse. L'hippodrome de Longchamp. Une freeparty avait été organisée, sans l'autorisation du gouvernement, par le mouvement mondial AlternativHits, sorte de réseau écolo-militaro-révolutionnaire. Le monde avait radicalement changé en quelques années, les actions des groupes écologistes s'étant durcies face a un capitalisme toujours croissant.
Le modèle auparavant surnommé "américain" avait été rejoint par les pays permanents de l'ONU, devenue l'OMA pour Organisation Mondiale Avancée, mais aussi par les membres temporaires. En tout, on dénombrait environ une trentaine de pays ultra-libéralistes.

La population du reste du monde avait fortement baissée, les famines, les maladies et les guerres ayant prélevées leur dû. L'extrême libéralisation des pays riches avait eu pour conséquence directe l'abandon des subventions aux aides humanitaires, causant des millions de morts, laissant démunies des nations ayant eu pour seul revenus conséquent des années durant les aides des pays riches.
Mais, contrepartie positive, les dettes furent oubliées. Et tous ces pays furent libres de choisir leur avenir, beaucoup décidant de revenir a un fonctionnement non plus étatique mais tribal, plus adapté à des populations si réduites.
AlternativHits était un lien qui permettait a ceux qui le voulait d'agir contre l'OMA, la plupart du temps pour l'empecher de s'étendre ou de prendre des ressources naturelles hors de leurs frontières.

Mais cette freeparty n'était qu'une provocation, un pied-de-nez, qui restait tout de même un des plus gros évenements de cette année 2012, et ce n'était pas peu dire. Il y avait plus de monde, a en croire les leaders, qu'au Teknival du Larzac, en 2003, où l'Alter avait été crée sous les traits d'une association. L'ambiance etait démente, les jongleurs etaient partout, les cracheurs de feu illuminaient la scène, et toutes les entrées, les toits, parapets et autres accès sur l'exterieur étaients gardés par des paramilitaires en armes.

Jon, la tête collée contre une enceinte, ne bougeait pratiquement pas. Il ne pensait a rien d'autre qu'au son qui le transportait, qui démultipliait l'effet des drogues. Subitement, il décida qu'il était temps de partir a la recherche de ses amis. Après quelques pas incertains, il réussit a s'habituer a la sensation absurde d'être sur une barque perdue dans la mousson.
Il marchait depuis déja une heure.
Il devait bien avoir fait le tour de l'hippodrome.
Peut-etre pas.
Peu importe.

"Ah, Jon, putain ! Qu'est ce que tu foutais, on t'a cherché partout !"

C'etait Marcus, un de ceux avec qui il était venu.

"Ouais, j'étais par la bas" répondit Jon, en agitant vaguement la main.
"J'm'en tape d'ou t'était, maintenant t'es la. Allez, amène toi, on a rencontré du monde."

Marcus le prit par le bras, et se dirigea vers un feu de joie colossal, haut d'au moins trois mètres, qui regroupait une cinquantaine d'individus.

"C'est bon, je l'ai retrouvé ! Le pauvre, on aurait dit un korrigan en plein New York !"

Un korrigan ! Beaucoup d'Alters, surnom donnés aux membres d'AlternativHits, etaient friands de contes folkloriques et mythologiques, et ils y croyaient plus ou moins, à force de vivre pour la majorité en pleine nature.
Certains dormaient près du feu, d'autres dansaient, se lancaient dans des débats, ou faisaient l'amour, peu dérangés par le manque d'intimité.

Jon, lui, venait de manger des champignons hallucinogènes. Enfin, il y avait deja une heure qu'il les avait mangé, lorsque Marcus l'avait amené. D'ailleurs, il commencait a les sentir. Sa vision devenait étrange, déformée, tout comme les sons qu'il entendait avec un certain retard.
Il marchait. Encore.
A chaque fois c'etait la meme chose, il finissait par partir en vadrouille, seul avec lui-même.

Il buta sur quelque chose, perdit l'équilibre et s'écroula pesamment face contre terre. Les drogues l'anésthésiant completement, il ne sentit aucune douleur. Après quelques tentatives, il parvint a se retourner et se redressa sur les coudes, pour essayer d'aperçevoir ce sur quoi il avait trébuché.
Les feux et divers éclairages permettaient d'avoir une lumière correcte sur la quasi-totalité du site, mais Jon se trouvait dans une des rares zones faiblement éclairées. Il pût toutefois distinguer une masse grise à un mètre de ses pieds, qui bougeait faiblement.
Se mettant a quatre pattes, il eût toutes les peines du monde a franchir la distance qui les séparait. Lorsqu'il y parvînt, il avait en face de lui non pas un animal, comme il l'avait vaguement supposé, mais un individu extrêmement petit, à la peau grise, et, alors qu'il posait la main sur son épaule pour le retourner, rugueuse. Le petit être etait inerte, et Jon n'eut pas de mal a le mettre sur le dos.

"Putain de bordel de merde ! Mais c'est quoi ca ?!" cria-t-il

Son visage n'était absolument pas humain, alors que Jon imaginait avoir affaire a un gosse, ou un nain. Il avait d'immenses oreilles tombantes, aux extrémités pointues, bardées de boucles d'oreilles de formes variées. Son nez était particulièrement long, et sa bouche étonnament large. Il avait déja vu ce genre de visages quelque part, mais il ne parvenait pas a se rappeler où.
Un murmure lui parvint, une voix rocailleuse, si grave qu'il avait beaucoup de difficultés à distinguer ce qu'elle disait.

Le petit être parlait !

"Jamais je n'aurais dû être ici, et jamais tu n'aurais dû me voir. Mais..." Une toux violente le prît "...Mais j'étais mourant, et j'avais un vieux rève a accomplir. Ici, j'ai rencontré mon destin, et en même temps modifié le tien. Peut-être me pardonneras-tu, pour tout ce que je vais te faire vivre. Haïs-moi, aimes-moi, mais par pitié, ne m'oublie pas."

"Quoi ? Mais ca veut dire quoi, ca ? Mais...Mais..T'es quoi, t'es qui, oh, merde, mais j'hallucine !"

"Adieu, et reste méfiant..."

Le petit personnage parut se liquéfier, et des volutes de fumées s'en échappaient alors qu'il disparaissait a vue d'oeil. Il ne resta plus que ses ornements, et une vague de douleur submergea Jon, qui avait l'impression de brûler vif, d'avoir de l'acide dans les veines, de se faire battre à mort, et tout en même temps.
Il perdît connaissance, alors que le cri qu'il essayait de pousser mourrait dans sa gorge dans un affreux gargouillis.



Jon se réveilla, allongé moitié dans l'herbe, moitié dans la boue, le corps plus courbaturé qu'il ne l'avait jamais été, et une migraine lui battant les tempes. Il devait etre a peu près treize heure, et la musique ne s'était pas arretée.
Le souvenir de la veille etait encore extrement vivace, et ne ressemblait pas du tout a un délire de drogué, même avec du recul. Après s'être rafraichi, légèrement nourri, et fait son sac, il prît la direction d'une entrée du sub-urb, l'ancien métro, sans parvenir a se débarasser de l'angoisse qui lui nouait le ventre.